Protection de l’enfance : la prostitution des adolescents, un sujet tabou et mal combattu.
31.11.16 par Rédaction Weka
Dans les toilettes du collège, aux abords de la gare ou sur internet… Des milliers d’adolescents se prostituent en France, selon une association, un phénomène qui reste peu connu et mal combattu, disent des professionnels.
« On estime de 5 000 à 8 000 le nombre de mineurs qui se prostituent, majoritairement des jeunes filles », explique à l’AFP Armelle Le Bigot-Macaux, présidente de l’association Agir contre la prostitution des enfants (ACPE), qui organisait mardi 29 novembre un colloque sur ce thème. Il y a deux ans, l’association lançait une campagne choc. Sur une vidéo, on devinait une jeune fille pratiquant une fellation dans les toilettes. Près de la porte, son cartable. Depuis, « on a eu de plus en plus d’appels de mamans ».
Ma fille avait 16 ans quand j’ai découvert qu’elle se prostituait », témoigne ainsi l’une d’elles, dans une vidéo réalisée par l’association et disponible sur youtube. « Je pensais que ça n’existait pas, pas ici en France. » Son adolescente reçoit des appels, elle se fait belle, elle part, de plus en plus souvent. Les doutes affleurent mais quand la mère de famille les exprime, elle se heurte à un mur, on lui dit qu’elle regarde trop les séries télé. L’éducatrice « ne m’a pas crue jusqu’au jour où ma fille a déclaré qu’en effet elle était prostituée ».
Beaucoup d’adolescentes ne se voient pas comme des prostituées ni comme des victimes. Liliana Gil, éducatrice spécialisée à l’Aide sociale à l’enfance de Seine-Saint-Denis, évoque ainsi les « michetonneuses », ces jeunes filles qui tentent de « duper » des hommes, les « pigeons », en leur accordant des faveurs sexuelles en échange de cadeaux, téléphones portables, sacs à main, week-ends.
Majorité sexuelle
Cette prostitution qualifiée de « volontaire » par Vianney Dyevre, chef de la brigade de protection des mineurs de Paris, concerne « essentiellement des jeunes filles qui veulent gagner de l’argent, sortir de la cité », parfois entraînées par des amies, raconte le policier. Elles se prostituent en entrant en contact avec des hommes sur des sites de petites annonces, comme wannonce ou vivastreet, en cachant leur jeune âge, explique-t-il. Comme elles sont mineures, elles se mettent avec des « copains » qui vont leur louer une chambre ou assurer leur protection, « mais elles ne les considèrent pas comme des proxénètes », relève-t-il.
Beaucoup de professionnels lient le développement de la prostitution des mineurs à l’explosion de la diffusion de la pornographie sur internet, facilement accessible aux mineurs via un ordinateur, une tablette ou un smartphone.
« La grosse difficulté, c’est que les filles se demandent pourquoi on les embête. On leur dit « tu donnes de l’argent à des gens qui te vendent ». Elles disent « c’est mon problème », ça rend l’enquête assez difficile », explique le policier.
À Paris, il relève deux autres phénomènes : « la prostitution de survie », qui concerne par exemple des garçons roumains aux abords des gares, et « la prostitution issue des phénomènes migratoires », en particulier celle de jeunes nigérianes contraintes de se prostituer pour rembourser leurs passeurs.
L’ACPE plaide pour qu’une étude d’envergure soit menée pour connaître l’ampleur du phénomène.
L’association recommande aussi de sensibiliser et former les policiers, créer des lieux d’accueil spécifiques pour les mineurs prostitués et améliorer les dispositifs d’accompagnement.
Le chef de la brigade de protection des mineurs de Paris le dit franchement : « La protection des mineurs m’intéresse assez peu, la seule chose qui m’intéresse c’est de mettre en prison ceux qui font du mal aux enfants. » Liliana Gil déplore le manque de formation des acteurs de terrain : « J’ai été confrontée à des professionnels qui me disaient « pourquoi tu te prends la tête, peut-être qu’elles aiment juste ça ? »
D’autres lui rappellent que la majorité sexuelle (âge à partir duquel un mineur peut entretenir une relation avec un adulte sans que cet adulte commette une infraction) est fixée, en France, à 15 ans. L’éducatrice leur rétorque qu’ « elles sont mineures, donc elles relèvent de la protection de l’enfance ».
par Pauline FROISSART/© 1994-2016 Agence France-Presse : « Tous droits de reproduction et de représentation réservés ».
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